La maladie, c’est l’homophobie. Pas l’homosexualité!
Réflexions de Maxime Michelet* tirées du blog de la rédaction du mensuel protestante libérale Évangile et liberté (France), 30 août 2018.
Nouvelle tempête en provenance de Rome, ce 26 août 2018. Le pape François, revenant d’Irlande, répond à un journaliste lui demandant ce qu’il dirait à un parent confronté à l’homosexualité d’un enfant. La réponse du pape dure deux minutes et on ne saurait traiter la polémique sans prendre en considération l’ensemble de celle-ci.Le pape y affirme notamment qu’il ne peut y avoir de réponse dans le rejet, le blâmant comme «défaut de paternité ou de maternité», invoquant le «droit à une famille» et concluant: «il ne faut pas le chasser». On objectera que c’est bien la moindre des choses mais à considérer le nombre de jeunes gens chassés par leurs familles (situations contre lesquelles lutte l’admirable association: Le Refuge), un tel rappel, prononcé par le pontife romain, n’est pas rien. Il affirme même ensuite : «Tu es mon fils, tu es ma fille, tel que tu es.» Ces mots auraient pu être applaudis.
Malheureusement, Sa Sainteté a dérapé. Et dit : «Quand cela se manifeste dès l’enfance, il y a beaucoup de choses à faire par la psychiatrie.» L’opinion s’est dressée vent-debout et une pluie de condamnations s’est abattue sur le dôme de Saint-Pierre. Cette assimilation de l’homosexualité à un trouble psychiatrique est particulièrement rétrograde et interroge la sincérité de toutes les avancées – timides mais salutaires – opérées par le pape François, bien moins rigide, moralisateur et obsessionnel que ses deux prédécesseurs immédiats, Benoît XVI et – surtout – Jean-Paul II.
A ceux qui ne comprendraient pas l’ampleur de la polémique, bref historique d’oppression.
Intégrée par l’OMS dans sa classification internationale des maladies au rang des maladies mentales, l’homosexualité n’en sort que le 17 mai 1990, jour depuis consacré à la Journée internationale de lutte contre l’homophobie. Aujourd’hui encore, de pseudo médecins – véritables charlatans – proposent de «guérir» l’homosexualité par des traitements tous plus inhumains les uns que les autres («thérapies de conversion» interdites solennellement par le Parlement européen en mars 2018, interdiction à laquelle 29 eurodéputés français se sont opposés).
Pour n’évoquer que la France, nous rappellerons que l’homosexualité fut inscrite parmi les trois fléaux sociaux contre lesquels l’Assemblée Nationale habilita le Gouvernement à lutter par ordonnances, en 1960 (aux côtés de l’alcoolisme et du proxénétisme). S’ensuivit un appareil répressif renforcé qui ne fut détricoté qu’en 1980 – 1982, principalement après l’élection de François Mitterrand. Nous ne rappellerons pas la déferlante homophobe qui s’abattit sur notre pays durant les débats sur le PACS ou, plus encore, en 2012 – 2013, lors des débats sur l’égalité de tous devant le mariage, la France n’introduisant cette législation que douze ans après la pionnière Belgique et huit ans après la Très-Catholique Espagne.
Aujourd’hui encore, un jeune homosexuel encourt quatre à sept fois plus de risques de suicide qu’un jeune hétérosexuel. Même s’il faut se réjouir que notre société avance sur cette question, l’homophobie demeure une réalité encore trop scandaleuse. En 2018, l’association SOS Homophobie a ainsi enregistré, pour la deuxième année consécutive, une hausse des actes homophobes, dénonçant notamment «la montée d’une parole homophobe» dans la sphère politique. Cela révèle aussi une libération de la parole mais on souhaiterait que ce soient les victimes directement qui soient libérées de la haine et non seulement leurs paroles traumatisées.
La semaine dernière, le 23 août, un jeune garçon de 9 ans, James Myles, mettait fin à ses jours à Denver, aux Etats-Unis, implacablement harcelé pour avoir simplement confié à ses camarades qu’il aimait les garçons. Voilà le visage tragique et insoutenable de l’homophobie.
Ceci rappelé, les paroles du pape, chef de plus de 1,25 milliard de fidèles à travers le monde et personnalité écoutée au-delà même de sa seule communauté, paroles peut-être maladroites (le Vatican a rétropédalé dès le lendemain) mais assurément scandaleuses, ne peuvent qu’engendrer mal et souffrance: insultant les homosexuels, accablant ceux qui luttent contre la peste de l’homophobie et pouvant même renforcer dans leurs convictions morbides les homophobes de tout poil.
La polémique est donc à la hauteur et du propos condamné et des oppressions à combattre. Mais au-delà de l’invitation au traitement psychiatrique (où, n’oublions pas, le divan se double de traitements médicamenteux), les paroles du pape contiennent un discours plus implicite mais non moins nocif et qu’il faut mettre en lumière pour mieux le combattre.
A longueur de phrases, le souverain pontife répète qu’il faut aider les personnes homosexuelles et aller vers elles pour les «comprendre»: discours assez commun et plutôt perçu positivement. Mais il n’affirme pas par là qu’il faille aller vers elles pour comprendre qu’il n’y a ni menace ni déviance et prendre conscience qu’il n’y a rien ni à craindre ni à rejeter. Non! et la référence à la psychiatrie éclaire ce propos : il faut comprendre pourquoi les personnes homosexuelles sont homosexuelles.
Qui aurait idée de s’interroger sur l’hétérosexualité des hétérosexuels? On ne s’interroge pas: cela va de soi. Mais la déviance, elle, doit être interrogée, décortiquée, expliquée, car s’il n’y a pas d’explication à la déviance c’est qu’elle est en réalité un fait naturel qui ne peut alors se résoudre dans la simple tolérance (cette fleur faite aux «déviants» par les «normaux») mais dans un principe autrement plus ambitieux: l’égalité.
Cette volonté, d’aspect donc bienveillante, qui appelle à aller vers l’altérité homosexuelle, se trouve donc fondée sur une conception homophobe de l’homosexualité: c’est la bonne santé prenant en pitié la maladie, la rectitude bienfaisante au chevet de l’inversion souffrante.
Quand le Saint-Père parle d’une «inquiétude» qui se fait jour chez l’enfant, est-ce l’inquiétude d’être homosexuel ou l’inquiétude de devoir un jour affronter l’homophobie? Qui aurait véritablement besoin d’un psy dans cette affaire? Sont-ce les homosexuels, vivant en plénitude et en paix leur liberté d’aimer? Ou sont-ce plutôt les homophobes, s’attribuant des droits illégitimes au nom d’une vaste imposture morale?
Plutôt que de répondre à un parent qu’il doit comprendre pourquoi son enfant est homosexuel, le pape (s’il n’avait pas été pape) aurait pu répondre que la première chose à faire, pour un parent dans cette situation, est de s’interroger sur lui-même: pourquoi donc ce fait, cette simple orientation sexuelle, pourquoi cela trouble-t-il ma relation à mon enfant? Pourquoi donc suis-je dérangé par cela? Ai-je peur de l’homosexualité elle-même ou ai-je peur des dangers qui menacent, de par son homosexualité, cet être chéri entre tous?
De quoi faut-il avoir peur, chers parents? De l’homosexualité d’un enfant ou des homophobes qui le menacent? Avez-vous peur des homosexuels ou des homophobes?
Certains répondront que c’est bel et bien l’homosexualité qui les trouble. Sans pouvoir jamais l’expliquer, ils vous diront que ce n’est pas naturel, voire que c’est répugnant. Mais alors, quand on est ainsi troublé et bouleversé sans le comprendre, quand cela peut même corrompre voire détruire l’amour censé inébranlable porté à un enfant, et quand on se retrouve esclave d’une peur irrationnelle, il y a peut-être «beaucoup de choses à faire par la psychiatrie.»
A défaut de psychiatrie, assurément, il y a beaucoup de choses à faire par l’amour. Mais pas celui de la commisération des bonnes âmes qui, sûres de leur rectitude, veulent enseigner au monde entier comment il faut s’y prendre pour être aussi purs et parfaits qu’eux. Pas cet amour hypocrite mais l’amour authentique. Celui qui nous délivre de nos peurs et désarme toutes les haines, celui où l’altérité nous remet en cause et où la différence amplifie la fraternité: cet amour qui rend les Hommes égaux «en dignité et en droits».
* Maxime Michelet est étudiant, diplômé d’un master d’Histoire contemporaine à la Sorbonne ; issu d’une famille de tradition athée, il a rejoint le protestantisme libéral à l’âge adulte à travers le temple de l’Oratoire du Louvre de Paris.